Romain Lemaire, président de Belles Vues Finances, spécialiste de la transmission de cabinets comptables et d’audit, nous donne les tendances en matière de cession.

Comment a évolué la transmission de cabinets ces dernières années ?

Il y a dix ans, il y avait environ un cédant pour douze acquéreurs. Aujourd’hui, la proportion est de un pour huit. Car une tendance s’affirme, depuis 4 ou 5 ans : à côté des baby-boomers qui prennent leur retraite, on trouve de plus en plus d’experts-comptables âgés de 45 à 55 ans, qui ont créé leur cabinet, l’ont développé, et cherchent à le vendre alors qu’ils ont encore de nombreuses années à exercer. Pourquoi ? Parce qu’ils ne supportent plus les contraintes, telles que la pression sur les prix des missions, la concurrence multiforme, la multiplication des règlements qu’il faut absorber et mettre en œuvre, sans parler de la solitude quand vous êtes seul aux commandes et que le ras-le-bol prend le dessus. Il y a beaucoup d’épuisement parmi les dirigeants… Le projet de ce nouveau profil de cédants est de s’intégrer dans un milieu où il peut s’épanouir, exercer ses compétences sur un portefeuille de clients plus large, s’associer…Bref, vivre l’intérêt du métier, sans avoir les contraintes du chef d’entreprise dans un secteur en pleine mutation.

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La réforme de l’audit légal influence donc aussi les cessions ?

Oui. Une fois le boulet de la loi Pacte tiré, les commentaires sont allés bon train et les pourparlers se sont figés. On a vu des gens lever le stylo en disant : “On n’achète pas de Cac si ça ne sert à rien”. Le commissariat aux comptes devient compliqué à vendre, pour un cabinet de taille moyenne possédant un portefeuille classique. Je ne vous parle pas des gros cabinets qui sont spécialisés, qui ont un nom et donc une signature.

La baisse du chiffre d’affaires en audit entraînera un impact sur la valeur des fonds de commerce et rebattra les cartes des cessions. Mais on se demande aussi ce qui va se passer en expertise-comptable. Les instances de la profession répètent qu’il faut s’orienter vers le conseil, pour éviter les écueils de la banalisation de certaines prestations comme le bilan et qu’il faut se démarquer. Il y a une vraie question sur la valeur des cabinets dans les années à venir, notamment pour ceux qui n’auront pas bien négocié le tournant. Certains dirigeants que je croise m’interpellent en me disant : “J’ai 57 ans, je viens vous voir maintenant car je ne veux pas me retrouver comme d’autres professions libérales, dentistes ou médecins, sans repreneur au moment de la retraite”.

Justement, quels critères faut-il réunir pour bien vendre ?

Il y a d’abord l’organisation du cabinet et ses collaborateurs. On trouve encore des structures sans plan de formation des salariés, où celle-ci se résume à un magazine spécialisé qui passe de main en main ! Or, des collaborateurs bien formés, autonomes, compétents et motivés sont un réel atout lors d’une cession. De même que leur outil de travail, moderne et correspondant aux demandes des clients. Plus le cabinet marche bien, est rentable, et peut aborder la transmission de façon souple en restant opérationnel, mieux c’est. Tout point noir entraîne une décote dans la valorisation du cabinet. Si on part d’un coefficient 1 qui correspond à la valeur du portefeuille clients, celui-ci va descendre à 0,8 si l’on pointe des critères négatifs. Ensuite, mieux vaut ne pas travailler sa cession dans l’urgence, en espérant la boucler en quelques mois, mais se pencher objectivement sur ses points forts, ses points faibles et ne pas négliger le facteur humain – la bonne longueur d’ondes – avec le repreneur potentiel.

Comment ne pas se faire « avaler d’une seule bouchée » quand on est un petit cabinet ?

Notre rôle d’intermédiaire consiste précisément à présenter les bons profils de repreneurs aux cédants. Nous connaissons les pratiques des repreneurs, gros comme moyens, et comment ils procèdent quand ils rachètent. De plus en plus, la tendance est de privilégier le rayonnement local du petit cabinet, son lien de proximité avec les clients et la qualité de son tissu relationnel. Il ne s’agit pas, pour l’acquéreur, d’ouvrir des bureaux lambda sur le territoire, mais de se démarquer avec des cabinets qui apportent un « plus » localement. En tant qu’intermédiaires, nous accompagnons les cédants de A à Z : depuis la présentation de plusieurs repreneurs, la valorisation du cabinet et jusqu’au protocole, qui récapitule les volontés des deux parties, afin que tout soit clair au moment de signer.

Comment évolue la valeur des cabinets ?

Il y a 10 ans, le coefficient se situait dans une fourchette entre 0,8 et 1,2, sachant que 1,2 s’appliquait surtout aux cabinets de ville, bien organisés. Actuellement, la moyenne est autour de 0,87 à 0,88.

Propos recueillis par Olga Stancevic
actuEL Expert-comptable, le quotidien de l’expert-comptable